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Le Château d’Aunoy et l’apparition en France du jardin à l’anglaise

Publication de Jacques Moulin

« Le Château d’Aunoy et l’apparition en France du jardin à l’anglaise », dans Bulletin monumental, Paris, Société française d’archéologie, 1991, t. 149-II, p.201-224.

Des documents iconographiques illustrent cet article. Afin d’y accéder, le lecteur est invité à se reporter au fac-similé de l’article en ligne sur Persée.fr.

 

Le château d’Aunoy est situé non loin de Paris, sur la commune de Champeaux, aujourd’hui en Seine-et-Marne. Proche du domaine de Vaux-le- Vicomte, il présente l’aspect d’une maison de plaisance du XVIIIe siècle, avec son parc à l’anglaise planté à cheval sur le plateau de Brie et un versant de la vallée de l’Ancœur. Ces dispositions qui peuvent paraître relativement courantes cachent pourtant un ensemble exceptionnel, autant par la technique de construction du château que par la présence d’un des premiers jardins à l’anglaise créés en France au milieu du XVIIIe siècle.

En raison d’une archéologie de plus en plus spécialisée, ces différents points font trop souvent l’objet d’études distinctes qui tendent à faire perdre de vue l’appréhension globale d’un monument par ceux qui l’ont conçu, même à des époques successives. Afin de réaffirmer la prédominance du domaine pris dans son ensemble sur ses différentes composantes, le parc comme le château d’Aunoy seront traités ici dans une approche unique.

La seigneurie d’Aunoy, dont on connaît l’existence à partir de 1180 (1), est liée, durant l’époque médiévale, au doyenné et à la collégiale de Champeaux. En 1635, Nicolas Chesneau, vicomte de Melun, est en possession du domaine, qu’il vend à Pierre de Bragelongne en 1646. Le sieur Barbier acquiert à son tour Aunoy en 1659. Quatre ans plus tard la seigneurie d’Aunoy passe, à la suite d’un échange, dans la famille de sa femme, née Favre. Jean-Clément Favre, qui en hérite en 1676, est intendant de Madame Fouquet à Vaux. Son fils Claude Favre d’Aunoy entreprend en 1729 la restauration du château médiéval « flanqué de quatre tours, bordé de fossés remplis d’eau, fermé d’un pont-levis, avec chapelle, jardin, bois, étang. » (2). Pourtant, dès 1731 , il se dessaisit du domaine dont Jean-Baptiste Chabert se porte acquéreur.

 

1. Jean-Baptiste Chabert et la reconstruction du château, entre 1750 et 1754

 

En 1731, le nouveau propriétaire d’Aunoy est un agent de change parisien résidant rue Royale, puis rue du Mail à Paris près de Saint-Eustache. Jean-Baptiste Chabert monte vers 1750 une manufacture de savon à Beaumont-sur-Oise et avance des fonds aux armées. C’est un « bourgeois de Paris », comme l’indiquent les archives notariales (3) : un homme fortuné, amené par ses activités à fréquenter la Cour et la haute aristocratie. S’il souhaite posséder une terre non loin de Paris, le château d’Aunoy, sans doute vétuste malgré ses récentes réparations, n’a pour lui aucune valeur affective. Aussi, lorsqu’en 1750 les bâtiments sont la proie d’un incendie, Jean-Baptiste Chabert choisit-il de les remplacer par une demeure confortable et moderne, ne conservant du château que ses marques nobiliaires le pigeonnier et pour un moment encore, « deux tourelles, derniers vestiges de l’ancien manoir » (4). Le nouvel édifice est reporté vers l’ouest, de manière à bénéficier des dégagements nécessaires à l’ordonnance de sa construction et de ses abords.

Avec sa disposition entre cour et jardin, le château reprend le plan de l’hôtel parisien tel que les traités de Blondel en proposent alors la diffusion à travers la France. Le bâtiment central à deux étages, couvert d’un comble mansardé, est marqué par un avant-corps en légère saillie et flanqué d’ailes basses à arcades. Du côté nord, l’aile se prolonge par un passage reliant le bâtiment principal aux communs disposés en retour d’équerre. Ces bâtiments latéraux encadrent une basse-cour séparée de la cour d’honneur par un mur symétrique de celui qui donne vers le potager situé au sud.

La façade principale, tournée vers l’ouest, est percée par cinq fenêtres cintrées à chaque étage, disposées par paires de part et d’autre de l’ avant-corps. L’avant-corps, souligné comme le corps de logis par un appareil d’angle, est surmonté d’un fronton triangulaire et couvert d’une toiture en pavillon percée de deux lucarnes rondes. Des lucarnes de maçonnerie, disposées à l’aplomb des baies latérales des façades, poursuivent le traitement cintré des percements avec l’emploi de corniches curvilignes. Les deux croisées cintrées de chacune des ailes s’inscrivent dans les arcades murales qui n’ont qu’un rôle décoratif. Ces ailes étaient recouvertes jusqu’en 1960 par des toitures en ardoise qui se raccordaient aux façades du logis.

Sur la façade postérieure, l’avant-corps est peu saillant. La porte-fenêtre en plein cintre qui ouvre sur le parc est ornée d’une clef figurant un mascaron féminin, seul élément figuratif sculpté de tout le château, tandis qu’au premier étage, un balcon de fer forgé au chiffre de Chabert repose sur des consoles à volutes ornées de feuillages. Le couronnement de l’avant-corps se compose d’une lucarne cintrée raccordée par des ailerons à deux vases en pierre disposés à l’aplomb des angles appareillés.

A l’intérieur du château, les pièces principales du rez-de-chaussée et du premier étage ont conservé leurs dispositions d’origine. Bien que restaurés, les plus beaux décors sont anciens, comme le prouve l’inventaire réalisé en 1811 à la suite du décès de la propriétaire d’Aunoy (5).

L’acte rédigé lors de la revente par Chabert en 1754 du château à peine terminé décrit d’ailleurs la nouvelle construction :

          « ... un château auquel on arrive par une principale avenue à quatre rangées d’arbres et qui consiste en une grande cour dont la porte d’entrée est une grille de fer (fig. 3) ; basse-cour à côté dans laquelle est une écurie pour douze chevaux, une étable à vaches, une laiterie, un poulailler, une volière à pigeons, un fruitier, trois remises fermées, un grand hangar servant encore de remise, une grande cuisine, un office, un fournil, une grande pièce à côté servant de logement au concierge, un logement pour le jardinier.

 

          Un petit corps de logis distribué en trois appartements (. . .), une grande chambre pour domestique et cinq grands greniers ensuite (…), des caves, un corridor aéré et chauffé qui conduit au château qui est entre cour et jardin et qui consiste en un vestibule ayant son entrée du côté de la cour, à la suite duquel est une salle à manger ayant sa sortie sur le jardin; à droite de la salle à manger, un salon de compagnie ayant vue sur le jardin, derrière lequel salon sont deux cabinets dont un sert de garde-robe à une pièce dans le vestibule cy dessus énoncé; à gauche de la salle à manger, une chambre à coucher et deux cabinets, le tout ayant vue sur le jardin, de l’un desquels cabinets on communique par une garde-robe à un escalier dérobé qui monte à un étage d’entresol puis dans l’aile servant de corridor.

          Dans la droite du vestibule est un grand escalier à rampe de fer qui monte aux étages d’entresol, premier et second; l’étage d’entresol distribué en trois pièces servant de logement de garçon ou de domestique ; le premier étage composé d’une antichambre qui distribue deux appartements de maîtres complets dans lesquels se trouvent deux chambres de femme de chambre, le tout régnant sur toute la longueur et la largeur du bâtiment.

          Le second est distribué en différents appartements comblés au dessus du second formant des greniers fort peu élevés, le comble couvert d’ardoise et de plomb » (6).

 

Rien, ou presque, n’a changé dans cette distribution. Si la nouvelle demeure ne semble pas pourvue d’une chapelle, tandis que l’ancien château en possédait une dont il est fait mention dans un titre de 1662, la suite de l’acte de 1754 fait état de sommes dépensées par Chabert pour l’entretien, à partir de 1750, d’une chapelle au vocable de Saint-Jean-Baptiste dans l’église paroissiale de Champeaux.

S’en tenant à la description superficielle des bâtiments, les textes anciens omettent un fait d’importance que laissent simplement soupçonner les greniers fort peu élevés, ainsi que l’aspect robuste de la façade et l’étroitesse de ses ouvertures. Il s’agit de l’emploi, dans toute la maison, de plafonds et de combles briquetés, système de construction encore peu connu à Paris lorsque Jean-Baptiste Chabert décide, en 1750, de l’utiliser.

Depuis l’incendie de la Cour des Comptes à Paris en 1737, ingénieurs et architectes s’appliquent à élaborer des techniques de construction destinées à éviter l’emploi du bois. Un système de couvrement en briques, qui trouve son origine en Catalogne espagnole où les forêts sont rares (7), est diffusé par un toulousain, le chevalier d’Espie : aux planchers des étages et aux charpentes des combles, il substitue des voûtes très plates, légères et résistantes, formées de briques posées à plat et montées au plâtre, sans coffrage. Tout d’abord expérimentée dans le Roussillon, cette formule est utilisée par Contant d’Ivry pour les écuries du maréchal de Belle-Isle au château de Bizy, en juin 1742. L’Académie d’Architecture publie alors une communication de l’architecte Tanevot « au sujet des voûtes avec des briques posées aplat et doublées avec de nouvelles briques posées à plat ». Mais elle spécifie bien « qu’elle n ‘approuve pas la pratique contenue dans ce mémoire » (8). Pourtant, le chevalier d’Espie embauche à Toulouse les ouvriers de Bizy pour construire l’hôtel Mac Carthy (9), et publie en 1754 une brochure intitulée « Manière de rendre toutes sortes d’édifices incombustibles ou Traité sur la Construction des voûtes faites avec des briques et du plâtre, dites voûtes plates, et d’un toit de briques sans charpente, appelé comble briqueté, de l’invention de M. le comte d’Espie et d’un toit de briques sans charpente, appelé comble briqueté, de l’invention de M. le comte d’Espie. .. » (10). A la suite seulement de la présentation par Tanevot de l’ouvrage de d’Espie, l’Académie admet que de telles voûtes « peuvent devenir un ouvrage extrêmement solide, au moyen de quoi les bois de charpente ne seraient plus d’usage dans les bâtiments et les mettraient hors de risque et d’incendie. . . » (11). Dès lors, le procédé devient à la mode, nourrissant de nombreux débats parmi les architectes, comme en témoignent les procès-verbaux de l’Académie d’Architecture et les écrits du temps. Il faut donc remarquer qu’au moment de la construction du nouveau château d’Aunoy, seul Contant d’Ivry en région parisienne semble oser utiliser la technique des combles briquetés : outre Bizy, l’abbaye de Pentémont est en effet pourvue de ces voûtes dites « sarrasines » entre 1747 et 1756. Les autres édifices présentant cette caractéristique ne verront le jour qu’après l’admission officielle du procédé par l’Académie d’Architecture : à Versailles, Berthier construit le Ministère de la Guerre et des Affaires étrangères en 1759, puis le Ministère de la Marine, contigu, en 1762; ce dernier conserve cependant des combles en charpente traditionnelle. Enfin, les communs du premier Palais-Bourbon sont mentionnés en 1768 dans le Journal du duc de Croy (12), qui avait suivi de près ces recherches, puisqu’il avait présenté lui-même le chevalier d’Espie à la Cour en mars 1754, après avoir« travaillé plusieurs fois, l’hiver, à corriger et perfectionner son ouvrage » (13).

Dans ce contexte, la construction d’Aunoy, avec non seulement ses plafonds en voûtes sarrasines, mais également ses combles de maçonnerie excluant tout usage du bois autre que le lattis nécessaire à la fixation des ardoises, apparaît comme l’application la plus poussée d’un procédé de construction à la mode. Cette technique, pourtant mal adaptée à une toiture à la Mansart, coexiste avec un aspect architectural du château caractéristique du milieu du XVIIIe siècle. Il semble d’ailleurs que Jean-Baptiste Chabert ait souhaité faire d’Aunoy un domaine aussi représentatif que possible des courants artistiques et techniques de son temps. L’aménagement du parc, également décrit dans l’acte de vente de 1754, en témoigne ainsi :

          « … un parc d’environ trente arpents, clos de murs à hauteur d’appui en dedans du parc et entouré défasses au dehors, tout au pourtour de ce parc ; deux grilles formant deux issues pour sortir du parc dans la campagne; dans le parc trois pièces d’eau environ un arpent chacune, une fontaine d’eau naturelle qui se décharge dans une des pièces d’eau. Dans le même parc trois arpents huit perches de haute futaye formant des allées autour de la pièce d’eau dite de couvert, une nouvelle plantation d’ormes en quinconce; un petit labyrinthe à côté du quinconce; un potager d’environ quatre arpents entouré de murs à hauteur d’appui. Un petit bâtiment servant de serre couvert de tuiles, deux arpents ou environ entourés de murs garnis de treillages, des arbres et des espaliers plantés en vignes, un petit bâtiment servant de retraite, le surplus du parc distribué en bosquets, allées et parterres

          Plus (…) tous les bâtiments nécessaires pour l’exploitation de la ferme, le logement du fermier, le tout couvert de tuiles, et un colombier à pied aussi couvert de tuiles d’environ mille paires de pigeons… »

 

On retrouve là, dans sa relative simplicité, la description d’un parc au dessin classique, inspiré des dernières éditions du traité d’Antoine Joseph Dezallier d’Argenville. Autour des bosquets, allées, parterres qui occupent la moitié du parc, les espaces de haute futaie et les plans d’eau s’équilibrent, formant ensemble une surface égale à celle des vergers et potagers. Le texte mentionne un quinconce, de création récente : c’est à l’époque une expression courante, caractérisant tout bouquet d’arbres un peu important, planté de façon régulière. La clôture basse et le fossé sont également des composantes habituelles dans les jardins de la première moitié du XVIIIe siècle. Deux éléments, le labyrinthe et la ferme, font peut-être plus spécialement référence au goût rococodes années 1740-1760, mais encore faudrait-il connaître le tracé du labyrinthe disparu quelques années à peine après sa création; quant à la ferme, si l’incendie de 1750 l’avait laissée intacte, sa conservation allait de soi.

A peine la réfection du château et de ses jardins est-elle achevée que Jean-Baptiste Chabert revend le domaine. En 1754, le marquis du Châtelet, lieutenant général des armées du Roi, l’achète, servant d’intermédiaire à Jean Favre d’ Aunoy, fils de l’ancien propriétaire. Ce dernier ne profite pas longtemps d’Aunoy : il meurt en 1759 (14) et le domaine échoit à sa veuve, Marie-Perpétue Martin. Celle-ci se remarie dès 1760 avec Pierre Jean-Baptiste Gerbier (15). C’est ainsi que l’avocat devient propriétaire d’Aunoy, chose attestée dans les registres de l’état civil de Champeaux à partir de 1761.

 

 

2. Pierre Jean-Baptiste Gerbier et le jardin anglais, entre 1760 et 1775

 

Pierre Jean-Baptiste Gerbier, né à Rennes en juin 1725 (16), est issu d’une famille de robe, étant fils, frère, neveu, cousin, d’avocats au Parlement de Bretagne. Il signera d’ailleurs souvent « Gerbier de la Masselaye », du nom d’une terre qu’il possède, pour se distinguer des autres membres de sa famille. Bien entendu, le jeune homme entreprend des études juridiques, terminées brillamment dès l’âge de vingt ans; il vise une carrière parisienne et, sur les conseils de son père, prépare pendant neuf ans son entrée au Parlement de Paris. Excellent orateur, il connaît aussitôt le succès. « Son teint brun, ses joues creuses, son nez aquilin, son œil enfoncé sous un sourcil éminent faisaient dire de lui que l’aigle du barreau en avait la physionomie » (17). Houdon et Lemoyne sculptent chacun son buste, le Tout- Paris lui confie ses grandes causes (18) : il défend le duc de Bouillon contre le comte de La Tour d’Auvergne, la Compagnie des Indes en procès avec les religieux de Clairvaux, le comte de Bussy, contre la Compagnie des Indes cette fois, mais devient surtout célèbre en plaidant contre les Jésuites lors de l’affaire retentissante de la banqueroute du père Lavalette. Il habite à Paris quai Malaquais, marié une première fois lui aussi (19) avant d’épouser, à l’âge de trente-cinq ans, Marie-Perpétue Favre d’Aunoy. Les actes du Minutier central le présentent comme « Avocat au Parlement, conseiller secrétaire du Roi, Maison et Couronne de France », et « Intendant des finances de Monsieur, frère du Roi » après 1775. A cette date il se retire à Franconville, à la suite de difficultés avec le Parlement de Paris et revend alors Aunoy à la vicomtesse de Broglie. Mais auparavant, il aura doté le domaine de l’un des premiers jardins à l’anglaise connus en France.

 

Bien que le château d’Aunoy ait déjà possédé un premier jardin aux dispositions traditionnelles, avec parterres et bosquets, la création d’un nouveau parc est attestée par Bachaumont. Ce dernier mentionne Gerbier dans ses Mémoires secrets, non pas comme la plupart des chroniqueurs du XVIIIe siècle à propos de ses activités, mais justement à l’occasion de deux visites en son domaine d’Aunoy : celle du prince de Conti, le 19 août 1769, et celle de la duchesse de Chartres, un an plus tard, le 4 novembre 1770 (20). Ces quelques lignes de chronique mondaine permettent de dater au plus près le parc réalisé par Gerbier et confirment que, pour la seconde fois, on se montre novateur à Aunoy, dans un domaine déterminant de la fin du XVIIIe siècle.

          «… Il y a quelque temps que M. le Prince de Conti, qui honore le sieur Gerbier, fameux avocat, d’une confiance particulière, est allé le trouver à la terre d’Aunoy, où, malgré ses grandes occupations, il passe la plus grande partie de la belle saison. L’orateur confondu d’une telle visite, mit dans sa réception toute l’éloquence dont il est capable. Mais le prince exigea que l’on oubliât tout le cérémonial dû à son rang et qu’on le traitât comme un ami de la maison. Son premier soin fut de parcourir les délicieux jardins du château. Ces jardins sont créés en quelque sorte par le nouveau maître, et c’est un jardinier anglais qui a traité cette partie dans toute la singularité du costume de sa nation. Après les premières promenades, le sieur Gerbier (…) conduisit insensiblement Son Altesse, comme pour se reposer, sous un belvédère agréable (…). Le prince, enchanté (…), voulut passer trois jours chez lui; faveur signalée, dont aucun particulier peut-être n’a jamais pu se vanter ».

 

On sait par Le Rouge que le prince de Conti, avant 1775, chargera l’architecte André de relever en Angleterre des plans de jardins (21). Un autre architecte à son service, Panseron, publiera également un volume consacré aux jardins anglo-chinois (22). D’autre part, si le prince de Conti, qui meurt en 1776, ne parvient pas à mener à terme ses projets de jardin paysager à l’Isle-Adam, Madame de Bouffiers sa maîtresse, amie de Rousseau, se retire à Auteuil où elle a très tôt composé un jardin qui sera souvent admiré (23).

Après le prince de Conti, la duchesse de Chartres, qui, trois ans plus tard, fera dessiner le parc Monceau par Carmontelle, se rend à son tour à Aunoy en 1770 :

          « … On a parlé l’année dernière de la visite que le sieur Gerbier, avocat, avait reçu du Prince de Conti dans sa terre d’Aulnoy. Madame la duchesse de Chartres vient de faire le même honneur à ce jurisconsulte célèbre, qui (…) se délasse de ses importantes fonctions en travaillant lui-même à son champ. Le sieur Gerbier est un grand économiste, qui fait beaucoup d’expériences en choses utiles, et qui d’ailleurs a singulièrement embelli son habitation par toutes sortes de décorations nouvelles et peu connues, dont il a emprunté l’idée des Anglais. C’est ce qui attire la curiosité des grands ».

 

Si Bachaumont donne de précieuses indications pour la datation du jardin, il n’en décrit que peu de choses. Deux autres documents viennent heureusement appuyer ses propos. Le premier d’entre eux est le court inventaire rédigé lors de la vente d’Aunoy en 1775 : il fait état de la construction d’une chapelle dans la cour latérale et de transformations dans le parc, mais fournit peu de détails, faute sans doute d’un vocabulaire adapté aux nouvelles dispositions du jardin. On peut toutefois noter la disparition des termes de quinconce, de labyrinthe et de parterre qui caractérisaient alors les jardins à la française :

          «... Un parc entouré de murs contenant environ vingt-six arpents dont huit arpents en bois, quatorze arpents en prés y compris les pièces d ‘eau et le surplus en deux potagers.

          Un enclos de vignes avec une serre y joignant contenant deux arpents huit perches (…).

          Des plantations nouvelles qui joignent aux bois de la Brosse un ou deux arpents (…).

          Le bâtiment et la ferme d’Aunoy qui sont compris dans l’enceinte formée par le mur du parc d’Aunoy et par ceux du clos de vignes, consistant en logements fermiers, granges, greniers, écuries, étable et hangars, colombier à pied garnis de ses pigeons, poulailler, toit à porc. . . »

 

Le second document, plus significatif, est le Plan d’Intendance de la paroisse de Champeaux daté de 1780 (24). Ce plan montre le domaine d’Aunoy avec son jardin à l’anglaise et la confrontation des dispositions anciennes du parc avec son état actuel permet une lecture assez précise des lieux, tels qu’ils ont été organisés entre 1760 et 1769.

De son état initial réalisé par Chabert, le parc a conservé, outre ses murs à hauteur d’appui bordés de fossés, l’entrée du château, avec un plan en croix dont l’axe principal est formé par une avenue tracée à travers les bois tandis que, parallèlement au château, une allée droite traverse le parc du nord au sud. La « nouvelle plantation d’ormes en quinconce » semble avoir été également épargnée. Il est possible de la localiser au sud-ouest du parc, à l’endroit où le plan de 1780 indique des massifs réguliers car il y subsiste encore de nombreuses souches en alignements.

Au-delà de ces éléments antérieurs à Gerbier, le jardin est recomposé selon une formule entièrement nouvelle. Autour d’une pelouse en légère pente qui relie la façade arrière du château aux pièces d’eau transformées en étangs, deux masses boisées encadrent le jardin. Sur le côté nord, des allées sinueuses mènent à diverses fabriques. Au sud, les potagers, les vergers et la ferme adossée à l’enclos planté de vignes occupent un espace plus vallonné. Dans le contour des bois et des étangs, comme pour les allées, on ne trouve plus aucune ligne droite : tous les tracés sont irréguliers.

Des arbres ornementaux bordaient la pelouse; certains d’entre eux ont été conservés jusqu’à nos jours, en particulier un très grand platane, trois vernis du Japon et peut-être également trois pins sylvestres disposés dans l’alignement du château, du côté sud. S’il les a plantés lui-même, le jardinier anglais de Gerbier a pu s’inspirer des principes de « Capability » Brown, qui prônait la valeur décorative d’arbres ainsi traités en pièces uniques. Toutefois Gerbier et son jardinier ont pu aussi préserver certains arbres particulièrement développés de l’ancien parc, comme ils l’ont fait pour le quinconce.

Un rocher artificiel abritant trois grottes s’élève au bord de la pièce d’eau centrale, créant ainsi l’indispensable relief rocailleux et accidenté dont le parc serait autrement dépourvu. Pour équilibrer cette masse, le jardinier a placé le long de la pièce d’eau sud, en lisière du parc, une butte artificielle où aujourd’hui encore quatre platanes sont plantés en bouquet. Au centre de l’île située dans l’étang nord était construit un bâtiment circulaire aujourd’hui disparu.

Le plan du jardin ne spécifie pas la nature des fabriques disposées autour de la pelouse centrale mais Bachaumont évoque un belvédère dont quelques vestiges semblent subsister au sommet du monticule qui recouvre la glacière. A l’extrémité nord-est du parc, une cabane d’environ quatre mètres sur cinq, construite en grumes de chêne, était encore debout jusqu’à ces dernières années. Autour d’elle, certains arbres plantés de manière irrégulière sont suffisamment grands pour pouvoir remonter aux plantations du XVIIIe siècle. Le plan localise encore une fabrique disposée au centre d’un bosquet situé au nord de la grande pelouse. Un bâtiment carré demeure à cet emplacement, avec une arcade et des piles de grès recouvertes d’une toiture rustique. Vers la partie occidentale du massif boisé, le plan signale encore deux fabriques dont il ne reste plus trace.

Du côté sud, sont réunis les bâtiments de la ferme, les vignes et les vergers qui formaient la partie utilitaire du parc. Une tour, qui subsiste de nos jours, marquait l’entrée de la ferme depuis le parc du château.

Au-delà des différentes constructions établies dans le parc, une allée droite, disposée en biais par rapport à la façade postérieure du château, ménageait une vue directe sur la collégiale de Champeaux, avec sa silhouette très particulière. Par ailleurs, un espace dégagé, à l’extrémité orientale du parc, ouvrait également sur la campagne environnante. Le jardinier de Gerbier associait donc les principaux aspects de l’environnement du jardin au traitement de celui-ci, avec ses reliefs artificiels et ses fabriques, multipliant ainsi les effets et faisant oublier les dimensions réduites de la propriété.

Le parc d’Aunoy étant l’un des premiers qui présente une disposition à l’anglaise, établie entre l’achat du domaine en 1760 et la visite du prince de Conti en 1769, il serait d’un grand intérêt d’en reconstituer la genèse. Toutefois, Gerbier n’a pas écrit sur son jardin, contrairement à beaucoup des créateurs de l’époque, et l’on ignore comment et pourquoi il se lance dans une telle entreprise. Que le jardin soit l’expression d’une volonté originale et affirmée, nul doute là-dessus : Bachaumont l’affirme à deux reprises et ajoute même que Gerbier a fait venir spécialement un jardinier d’Angleterre, chargé de concevoir toutes sortes de décorations nouvelles et peu connues, dix ans avant que le comte d’Artois engage Thomas Blaikie comme « jardinier anglais » à Bagatelle. On peut seulement penser que, directement ou non, Gerbier connaît et apprécie, avant même que la mode n’en soit diffusée, l’aspect des jardins aménagés en Angleterre depuis plusieurs années.

En effet, les articles du Spectator et du Guardian, parus respectivement en 1711 et 1712 et consacrés par l’usage comme manifestes fondateurs du jardin à l’anglaise, sont traduits en français dès 1723 (25). A partir de 1710, A. Pope dessine les jardins de Twickenham et W. Kent ceux de Carlston-House et de Claremont en 1720, mais les nombreux voyageurs français qui évoquent ces changements y restent insensibles. C’est l’abondance des fabriques, qualifiée rapidement de « templomanie », qui les frappe tout d’abord. Le baron d’Holbach, pourtant auteur en 1756 d’un article sur la notion d’aspect « romantic », terme cité pour la première fois par l’abbé Leblanc (26), n’en reproche pas moins aux jardins anglais leur caractère mélancolique, allant jusqu’à comparer Stowe à un cimetière romain (27) : « … Le baron est de retour d’Angleterre » écrit Diderot à Sophie Volland, le 20 septembre 1765 (28) «… il est revenu mécontent (. . .) des jardins où l’affectation d’imiter la nature est pire que la monotone symétrie de l’art ». C’est aussi l’avis de Blondel en 1771 : « Les Anglais, peuple sérieux, affectent jusque dans leurs jardins parés une simplicité, louable sans doute, mais souvent triste et monotone; et lorsqu’ils déploient leurs ressources dans cette partie de l’art, ils tournent leur génie à composer des promenades dont l’aspect seul est effrayant » (29).

Pourtant, les indices d’une tendance vers le « naturel » jalonnent le XVIIIe siècle comme autant de signes avant-coureurs d’un renouveau dans la conception de la nature et par conséquent des jardins, dont les peintres se feront les premiers interprètes (30). Certains théoriciens de la fin du XVIIIe siècle invoquent même une paternité continentale aux jardins à l’anglaise, alléguant divers textes, comme une lettre de Madame de Sévigné à sa fille (31), ou encore un passage des Huetiana (32), mais surtout les publications d’A. J. Dezallier d’Argenville traduites dès 1712 en Angleterre, où elles connaissent une grande popularité (33). Charles Dufresny est également cité : ce dramaturge de la fin du XVIIe siècle, paysagiste avant la lettre, avait proposé à Louis XIV une refonte totale du parc de Versailles, qu’il aurait parsemé de fabriques, de collines artificielles, de bosquets irréguliers. Le Roi, raisonnable, jugea le projet hors de propos — il avait coutume de dire en plaisantant qu’il ruinerait son royaume avant de parvenir à enrichir Dufresny — mais la Ménagerie de Versailles, sur son ordre, conserva ses arbres intacts. Dès 1698, le Bois de la Princesse, à Marly, possédait des allées irrégulières (34).

Sous la Régence, l’art topiaire cesse de plaire, et les jardiniers ménagent le passage insensible du parc dessiné à la campagne environnante au moyen des « hahas », très en vogue aussi outre-Manche, qui remplacent haies, murs et grilles. Plus tard, à l’époque rococo, le goût des jardins plus réduits et intimes aux allées sinueuses contribue également à préparer la voie au jardin paysager. Un premier orientalisme vient s’ajouter à tout cela : déjà, des kiosques étaient apparus dans les jardins rococo, après que le roi Stanislas de Pologne eut imité dans ses parcs lorrains ceux qu’il avait admirés durant sa captivité en Turquie (35). A la suite de la parution des Lettres édifiantes. . . en 1743 (36), les descriptions des jardins de la maison de plaisance de l’empereur de Chine, à Pékin, font rêver nombre d’amateurs et de jardiniers en France comme en Angleterre. Enfin l’engouement pour les jardins botaniques et la zoologie, sous Louis XV, a progressivement généralisé la présence de bâtiments « utiles », comme les serres, ménageries laiteries, poulaillers, au sein même des jardins ornementaux. Il faut d’ailleurs, à propos de botanique, citer la thèse du comte de Laborde (37) — dont le père avait conçu le parc de Méréville — sur l’origine du jardin irrégulier :

          « Le changement se fit naturellement par l’introduction des arbres étrangers : la multiplicité de leurs formes, la variété de leurs feuillages firent reconnaître qu’ils convenaient mieux réunis en bosquets ou plantés isolément que rangés en allées droites (…). Cette irrégularité une fois adoptée, les mêmes changements eurent lieu pour les cours d’eau qui devaient les arroser, pour les chemins que l’on pratiquait au milieu d’eux (…). Quelques peintres et des gens de goût furent les premiers qu’on suivit, et les plus beaux jardins de France durent même leur principal mérite à l’expérience et au jugement de ceux à qui ils appartenaient ».

 

II n’empêche que les jardins Régence conservent des formes le plus souvent régulières et issues des modèles de Le Nôtre et qu’en de multiples points le style rococo s’oppose radicalement à l’esprit des jardins paysagers. Enfin Laborde paraît ne pas songer que le désir même d’introduire des arbres d’un autre genre procède déjà d’un nouvel état d’esprit. Selon les principes diffusés par les livres d’A. J. Dezallier d’Argenville, Gabriel retrouve l’implantation traditionnelle des jardins classiques et traite le parc du château de Saint- Hubert, en 1755, avec des arbres non taillés et des allées ouvrant sur de vastes perspectives.

De fait, le mouvement esthétique, d’ordre moins formel à ses débuts que littéraire et philosophique, qui contribue à préparer les esprits à l’apparition des premiers jardins paysagers se développe très rapidement  dans les années 1750-1760. Les lettres d’Angleterre de Madame du Boccage dès 1750 (38), l’ article Jardins du chevalier de Jaucourt dans l’Encyclopédie, Rousseau en 1761 dans La Nouvelle Héloïse vantent les mérites des jardins anglais. Ce dernier ne voyage pas avant 1766 en Angleterre mais il est très lié avec le peintre Watelet, l’un des premiers à arranger son domaine à la manière nouvelle (39). Plusieurs chronologies de l’apparition en France du jardin à l’anglaise ont été tentées, mais elles se heurtent à une large imprécision sur la datation des projets. L’acquisition d’un domaine précède parfois de plusieurs années la mise au point d’un nouveau parc ; d’autre part le déroulement même des travaux, souvent conduits d’une mode à l’autre et directement par le propriétaire, sans plan réellement établi, interdit de situer précisément le moment où un courant intellectuel se traduit par une forme nouvelle. Gerbier a-t-il donc suivi un mouvement déjà lancé par le milieu parisien ou bien faut-il chercher ailleurs les origines de son parc ?

Aucun jardin à l’anglaise conséquent n’est réellement achevé, en France, avant 1770. Girardin, qui commence à partir de 1761 l’aménagement du château et du parc d’Ermenonville, en se réclamant de l’Elysée de Clarens dépeint dans La Nouvelle Héloïse, n’a rien terminé à cette date, pas plus que Nicolas Michot, qui intervient à Valençay où se réunissent autour du marquis de Villemorien de nombreux artistes (40). Parce qu’ils sont les plus anciens, et de conception encore timide, les jardins contemporains d’Aunoy sont les plus mal connus, souvent remaniés sinon détruits : il s’agit, en 1769, de « Tivoli » pour l’Intendant Boutin, cité comme le premier jardin anglais par l’abbé Delille (41) ; de la colline de Thury-Harcourt ; du parc de Saint-Leu, qui appartient au marquis de Laborde et dont le fils évoque la pelouse, le lac ainsi qu’un belvédère et une ruine, quatre éléments présents également à Aunoy. Laborde décrit enfin le Raincy, mieux connu, et Prulay près de Mortagne « planté dans le goût ancien, lorsque le père du propriétaire actuel (1808) commença à l’embellir et à en faire un beau jardin irrégulier » : il y a là aussi une prairie, un lac et une rivière, une glacière « égyptienne », un tombeau, une maison de bains; mais « … on dirait que ces premiers jardins étaient moins des essais que des modèles faits pour être réalisés en grand », conclut-il (42). Cependant ces jardins sont en chantier en même temps que ceux d’Aunoy et n’ont pu lui servir de modèle.

Plus anciens sont ceux que mentionne le duc de Croy, respectivement en 1767 et en 1768 : « … Le 14 avril nous fîmes (…) une jolie partie à Boulogne, chez l’amusante duchesse de Montmorency qui, profitant du voyage d’Angleterre où nous l’avions vue, venait de mettre avec intelligence son jardin à l’Anglaise, goût qui pourrait bien prendre, et peut-être avec fureur, comme le reste en France. Ce tour de jardin, bien entendu et bien entretenu, a l’air bien plus frais et bien plus champêtre ». En 1768 : « Je vis au petit Palais -Bourbon que M. de Lauraguais vendait au prince de Condé un jardin anglais plein de goût, qu’il finissait et abandonnait en même temps, et où il avait commencé un volcan d’un grand effet » (43).

Lui-même amateur de jardins, le duc de Croy est bien placé pour saisir dès leur apparition les idées nouvelles en la matière. Depuis 1750, il réalise avec les conseils des architectes Chevotet et Chaussard, un jardin botanique de conception encore rococo, dans son Hermitage de Condé-sur-Escault. Il a même, après un voyage en Angleterre en 1766, dessiné un projet de jardin à l’Anglaise, publié par Le Rouge quelques années plus tard (44) (fïg. 19). Le plan en est construit sur des principes assez voisins de ceux mis en œuvre à Aunoy : une pelouse centrale circonscrite par une bordure de haute futaie sillonnée d’allées sinueuses et peuplée de fabriques; des pièces d’eau aux contours irréguliers, dont l’une possède une île. Mais ce jardin ne sera jamais réalisé et, malgré la parenté des deux inspirations, il ne semble pas y avoir eu interférence.

En revanche, rappelons que Bachaumont apporte cette information fondamentale : à Aunoy, c’est un jardinier anglais qui a traité cette partie dans toute la singularité du costume de sa nation. Cette affirmation très claire réduit la valeur des théories qui feraient procéder le jardin paysager d’une interprétation littéraire de la nature et d’une progressive déformation du jardin à la française. Les plus anciens des jardins à l’anglaise proviennent bien précisément d’outre-Manche, par leurs formes comme par leurs créateurs.

Ainsi, le duc d’ Harcourt correspond avec l’un de ses cousins anglais pour échanger plans et essences rares. La duchesse de Montmorency, le prince de Croy ne transforment leurs parcs qu’après des contacts directs ou un voyage en Grande-Bretagne. Au Petit Trianon où, dès 1753, les bosquets latéraux des parterres de la Reine possèdent des allées sinueuses (45), un jardinier d’origine irlandaise vient d’être engagé, Claude Richard, remarqué par le Roi alors qu’il travaillait pour un Anglais habitant Saint-Germain-en-Laye (46). L’idée, certes, est dans l’air en France, la façon dont Diderot perçoit la Briche est à ce titre significative, mais les formes sont venues d’ailleurs.

Si l’on ignore encore le nom du jardinier anglais employé par Gerbier (47), il reste toutefois à considérer les modèles anglais qui ont pu l’inspirer. Dans le premier tome des Jardins anglo-chinois, rédigé avant 1775, Le Rouge publie déjà plusieurs plans de petits jardins anglais, tels que le parc de Sion Hill, appartenant à Lord Holderness, ou celui de Lord Spencer à Wembleton (48), montrant qu’en Grande-Bretagne, les jardins nouveaux, même de faibles dimensions, sont déjà nombreux dans les années 1760.

Cependant, c’est peut-être vers les modèles les plus importants et donc les mieux connus qu’il faut se tourner pour trouver l’origine de la composition du jardin d’Aunoy. Deux parcs élaborés par William Kent présentent un intérêt spécial, dans la mesure où ils n’ont pas été créés de toutes pièces mais modifiés, permettant d’observer comment leur auteur a recomposé l’environnement d’un château disposé de manière classique, à la croisée de deux axes. A Claremont, Kent conserve encore intacte, en 1720, l’arrivée ordonnancée sur le château mais il rompt l’axe principal du côté du parc, le déplaçant d’un huitième de tour et le transformant en pelouse sillonnée d’allées sinueuses et ornée de fabriques. Comme à Aunoy, seule une partie du parc est reconsidérée et non pas l’ensemble du domaine. En 1730 à Stowe, la transformation est bien plus radicale. Le jardinier Bridgeman achève de dessiner un parc dans le style de Le Nôtre, lorsque Lord Cobbam fait appel à Kent. Ce dernier conserve les grands axes précédemment établis mais modifie l’avenue qui mène à la cour d’honneur pour la transformer en une vaste prairie parsemée d’arbres et ouverte sur la campagne. Du côté du jardin, il traite également en pelouse toute la partie située face au château, accentuant fortement le relief des alentours. Le château n’est plus le centre d’un espace organisé en fonction de lui mais il devient une pièce du décor, presque une fabrique parmi les autres, au sein d’une nature réinventée (49). Kent arrondit les contours des pièces d’eau en conduisant jusqu’à leurs bords et sur des îles des bouquets d’arbres isolés. Enfin, faisant alterner sans régularité les parties boisées et les pelouses, il construit les multiples fabriques auxquelles le domaine doit sa célébrité.

A moindre échelle, et tout en conservant le tracé classique qui conduit à la cour d’honneur, la même démarche est appliquée à Aunoy, d’une surface de trente arpents entre les murs, soit environ quinze hectares. Le texte que le duc d’Harcourt rédige, probablement avant 1769, tandis qu’il aménage Thury, peut aussi éclairer les travaux de Gerbier et de son jardinier anglais : « si l’on est forcé de corriger un terrain défiguré par le goût dépravé des lignes droites, il ne faut faire nulle grâce aux moindres vestiges de la géométrie. » Plus loin, il conseille la construction de fabriques : « … l’architecture se déploie tant dans l’imitation de la nature pour les roches, grottes, cavernes, rocailles (…), que dans les beautés de l’art pour les temples, rotondes (…). L’orangerie, les écuries (…), la glacière jusques à l’abreuvoir, tout est susceptible de participer à l’ensemble. » Et encore : « l’arbre isolé meuble une verdure trop uniforme, borde la rive trop découverte, couronne une sommité » (50).

Enfin, la comparaison entre les deux actes de vente d’Aunoy en 1754 et 1775, malgré le laconisme du second document, permet pourtant d’observer la nature de certaines transformations. Tout d’abord, la surface en bois a doublé : trois arpents huit perches en 1754, huit arpents en 1775 ; les quelque dix-sept arpents de bosquets, allées et parterres sont donc principalement remplacés par la pelouse parsemée d’arbres et par des espaces boisés. Les surfaces des potagers et de l’enclos de vignes n’ont guère changé, ni celles des pièces d’eau. Mais les contours de ces dernières ont été modifiés : « il faut adoucir les rivages pour donner plus de découvertes, les gazonner jusque sous l’eau pour qu ‘elle ne les dégrade pas, imiter cette rondeur naturelle dans les contours des ruisseaux, cette grâce des sinuosités des rivières » (51).

D’autre part, certains bâtiments agricoles — étables, poulailler, toit à porcs — décrits en 1754 comme entourant la basse-cour, semblent avoir été reportés auprès de la ferme, à l’emplacement des vestiges de l’ancien château. Seuls les garages, les logements des domestiques, les cuisines et les offices restent près de la maison ; la place ainsi libérée permet la construction d’une chapelle dont on comprend mieux la présence si les animaux ne sont plus dans cette cour latérale. Le système adopté par Chabert témoignait déjà du goût parisien pour l’économie agricole. Gerbier va plus loin en conférant une valeur esthétique à la ferme située presque en face du château, au-dessus de l’étang et de sa grotte en rocailles. Il la traite ainsi comme un élément du parc paysager, selon les conseils du duc d’Harcourt pour lequel « la disposition des métairies, la forme de leurs bâtiments, leurs vergers, le choix des arbustes qui les enclosent, la propreté de la culture enfin, contribueront à la richesse des lointains sans altérer celle du propriétaire, car plus une terre est en valeur, plus le ton du paysage a de fraîcheur et de chaleur » (52).

Certains éléments qui permettraient de mieux analyser le parc d’Aunoy font aujourd’hui défaut, en particulier la nature exacte des fabriques connues par le seul plan de 1780. Lorsque Emmanuel Motte, qui reprend en main le domaine en 1960, déclare avoir restauré une île chinoise et un cimetière des chiens, faut-il penser qu’ils y étaient dès l’origine ? Il est rare, de fait, de ne trouver dans un jardin à l’anglaise ni chinoiseries, ni rien qui ressemble à un monument funéraire. Cependant, il est possible que Gerbier ait adopté un parti de simplicité pour son domaine d’Aunoy. En effet, sous l’influence du style rococo, les premiers créateurs de jardins à l’anglaise collectionnent volontiers des fabriques de tous genres, comme les essences des provenances les plus diverses, dans un but presque encyclopédique. C’est ce que proposent Kent, Chambers ou Carmontelle, et ce que réalise le marquis de Girardin à Ermenonville. Mais très vite, on l’a vu, de violentes critiques s’élèvent contre l’excès des fabriques et le mélange des styles : les premiers jardins à l’anglaise finissent par être considérés comme l’antithèse du retour à la nature dans sa pureté originelle. Le jardin des philosophes où chaque site est fait pour représenter un lieu symbolique, un caractère, un état d’âme, parfois même un concept, se transforme progressivement en un jardin pittoresque, paysage plus souriant que mélancolique, lieu de délassement plutôt que désert : la Malmaison, une fois dépassée la Révolution et son goût pour l’allégorie, en est, en France, le type achevé. Toutefois, les deux conceptions s’opposent très tôt : Girardin lui-même dénonce, dès 1777, le caractère trop littéraire de ses réalisations à Ermenonville (53) et plusieurs théoriciens, Watelet le premier, plaident pour la simplicité à l’exemple du baron d’Holbach.

Or, soit en raison de la taille réduite du domaine et des moyens de son propriétaire, ni prince ni grand courtisan, soit qu’il s’agisse d’une intention bien affirmée, Aunoy paraît s’inscrire au sein de cette nouvelle tendance épurée des aspects les plus anciens du jardin à l’anglaise. Le paysage, la nature semblent y avoir plus d’importance que les fabriques qui restent petites et peu nombreuses. Le jardinier anglais de Gerbier préfère se rattacher d’emblée aux paysagistes d’ outre-Manche de la génération de Capability Brown, qui privilégient l’emploi de dégagements et de grandes masses plantées, considérant comme secondaires, voire inopportuns, les exercices de style des fabriques et les collections historiques.

 

 

3. L ‘évolution du domaine après 1775

 

En 1775, Jean-Baptiste Gerbier revend Aunoy à la vicomtesse de Broglie pour acquérir le domaine de Franconville où il se retire. Dès 1789, celle-ci revend la propriété à Marie-Félix Favre d’Aunoy, belle-fille de Gerbier (54). Cette dernière ne conserve pas plus de trois ans le château, qui traverse la Révolution sans dommages. Après 1811 (55), les ailes latérales sont modifiées. Leurs façades sont vraisemblablement repoussées vers le jardin et percées de baies rectangulaires séparées par une niche, selon les dispositions qui subsistent actuellement. Dans l’aile sud, un théâtre en bois est installé. En 1840, on remplace la quadruple rangée de chênes de l’avenue par des marronniers et l’on abat «… les chênes magnifiques qui étaient autour de la maison et les beaux ormes de l’allée, dite des Prêtres, parce qu’elle était fréquentée par les chanoines de Champeaux. A cette richesse de végétation ont succédé des plantations nouvelles » (56).

Lorsqu’en 1960 le décorateur Emmanuel Motte acquiert Aunoy (57), il transforme à son tour les ailes, remplaçant les combles qui les rehaussaient par des terrasses ornées de vases Médicis. Il fait peindre les façades en blanc et les pièces principales du château sont restaurées dans leurs dispositions anciennes. Certaines cheminées ajoutées au XIXe siècle sont démontées, comme dans la salle à manger qui sert de vestibule vers le jardin. Sous le badigeon brun des boiseries du salon, un décapage fait réapparaître les traces des peintures d’origine, en trois tons de rose. Cependant, on sait par les inventaires que dès avant 1811, une laque grise, plus au goût du jour, avait été passée dans toutes les pièces. A l’emplacement de l’ancien théâtre en bois, Emmanuel Motte crée un deuxième salon avec un décor de faux marbres encadrant et poursuivant les tons d’une toile de Van Orley représentant Jupiter séduisant Calypso. A l’extérieur de la maison, une terrasse dallée est construite du côté du jardin.

D’importants travaux sont également entrepris dans le parc. Depuis le XVIIIe siècle, les bois ont considérablement gagné sur les espaces dégagés, refermant le jardin sur lui-même et n’en laissant plus apparaître que la pelouse centrale. De nombreuses allées ont ainsi disparu, isolant les restes des fabriques, les étangs et la glacière. Pour orner les abords du château, Emmanuel Motte crée de nouvelles compositions qui se substituent à celles de Gerbier et à celles que le XIXe siècle avait laissé s’établir : en prolongement de l’aile sud, un bosquet de treillage orné de bustes est aménagé autour de parterres de fleurs. Le long des allées qui subsistent, des statues de marbre ou de terre cuite sont disposées de manière à accompagner le promeneur dans son périple autour de la pelouse. Quelques-unes des anciennes fabriques sont consolidées ou restaurées, comme la grotte de rocaille et la tour de l’ancienne ferme ; mais la cabane disparaît, ainsi que le pont de l’île chinoise et les ormes du parc, décimés par la maladie. A l’extrémité orientale du jardin, dans l’axe du château, une nouvelle perspective est créée autour d’un obélisque disposé au sommet d’un emmarchement qui s’élève depuis l’étang. Toutefois, malgré ces modifications successives, le parc n’a jamais été réellement bouleversé : les traces des dispositions anciennes se lisent encore dans la végétation et les reliefs du terrain. Le château d’Aunoy conserve donc l’un des rares jardins du XVIIIe siècle qui puisse être considéré comme authentique. Ce parc reste, surtout, le plus ancien témoignage de l’adoption, en France, du jardin à l’anglaise; adoption qui marquera le principal renouvellement de formes connu dans notre histoire des jardins.

 

 

Notes

 

(1) Pour l’histoire du domaine depuis ses origines, voir Notes et copies de pièces concernant le Chapitre et la collégiale de Champeaux, recueillies par Maurice Perrier (Archives de Seine-et-Marne, G 211). Une notice abondante — mais parfois fausse — sur Aunoy se trouve dans l’Almanach historique de Seine-et-Marne, 1878, p. 171-176. Aunoy est également cité par Dulaure, dans Histoire des environs de Paris, Paris, t. V, 1838, p. 245 : « … sa construction et ses jardins sont remarquables » ; par l’abbé Lebeuf, dans Historique de la ville et du diocèse de Paris, Paris, réédité en 1883, et dans les Monographies des instituteurs, 1888, Archives départementales de Seine-et-Marne. Cependant, les guides et histoires de la région parisienne ignorent souvent Aunoy.

(2) Minutier central, Maître Angot, étude XLII, liasse 442, 21 mai 1754. Cet acte de vente très détaillé est une pièce fondamentale pour l’étude d’Aunoy, car elle donne un état des titres du domaine qui permet de reconstituer la succession des propriétaires. C’est là que l’on apprend que Jean-Clément Favre était intendant de Madame Fouquet. On y trouve également des descriptions du domaine à diverses époques, telle celle-ci, incluse dans un acte du 18 octobre 1714. L’acte de vente de 1731 décrit l’ancien château et mentionne rapidement les travaux effectués en 1729 (Minutier central, Maître Silvestre, étude VI, liasse 670, 15 septembre 1731).

(3) Acte de vente du 21 mai 1754. On retrouve trace des affaires de Chabert au Minutier central dans les études VII, liasses 275, 277, 278, 279, 282, 286, 290 et XXXV, liasse 676 (1750-1754), et aux Archives de Seine-et-Marne, parmi les Minutes du greffe, 1740-1742 (C 145), la Mouvance censuelle, 1708-1745 (G 163), et les Déclarations passées du terrier de la seigneurie de Champeaux, 1715-1749 (E 1362).

(4) Almanach historique de Seine-et-Marne, p. 174.

(5) Minutier central, Inventaire après décès de Marie Parseval, veuve de Claude Debrest, Maître Tiron, étude XXXII, liasse 188, 12 août 1811.

(6) Pour une meilleure cohérence du texte, l’orthographe a été modernisée dans les trois extraits d’actes notariés cités dans cet article.

(7) II apparaît que ce procédé, largement décrit, a été utilisé dès le début du XVIIIe siècle par les moines capucins dans le Languedoc, à Montauban, Castelnaudary, Carcassonne, Narbonne, Toulouse puis en Provence. Progressivement, le procédé a été adopté pour l’architecture privée. L. Hautecœur évoque cette technique dans son Histoire de l’architecture classique en France, tome III, Paris, 1950, p. 183.

(8) Procès-verbal du 3 juillet, t. VI, p. 75-82. Tanevot y mentionne les écuries de « Bissy » (sic).

(9) L’hôtel Mac Carthy, dans Mémoires de la Société impériale archéologique du midi de la France, t. VIII, 1865, p. 138-160 et 2 pi.

(10) Paris, Duchesne, 1754, in-8°, 80 p. et pi.

(11) Procès-verbaux de l’Académie d’Architecture, 19, 26 août et 16 décembre 1754, t. VI, p. 225 et 228-229.

(12) Grouchy et Cotim, Journal du duc de Croy, juillet 1768, t. II, p. 320,4 vol., Paris, 1907, d’après E. de Croy , Journal de ma vie, 1718-1784, manuscrit conservé à la Bibliothèque de l’Institut : «… on ne pouvait que trop y admirer l’art qu’on y avait mis à perfectionner l’utile découverte des voûtes plates de brique, qu’on devait employer partout pour ne plus faire que des maisons incombustibles suivant les principes que j’ai étendu dans l’ouvrage de M. d’Espie » écrit le duc de Croy à propos de ces bâtiments.

(13) Ibid., t. I, p. 255-256.

(14) « Apposition de scellés faite au château d’Aulnoy après le décès d’Armand Jean Favre, seigneur dudit Aunoy, du 19 février 1759, écuyer trésorier payeur des gages des officiers de la Chancellerie près de la Cour de Clermont Fayrand en Auvergne. Signé par Martin Favre d’Aunoy » (Arch. Seine-et-Marne, Prévôté d’Aunoy).

(15) Actes des 23 juillet 1761 et 23 juillet 1771 ; mais c’est une phrase de l’acte de vente de 1775 (Minutier central, étude LIII, liasse 516, Maître Lepot d’Auteuil, 27 avril 1775) qui permet de dater au plus près son remariage avec Gerbier, antérieur au 20 septembre 1760. Marie-Perpétue Martin se marie alors pour la troisième fois : son premier mari se nommait Jérôme Thomas ; d’Armand Jean Favre d’Aunoy, elle eut une fille, seule héritière présente lors de la revente d’Aulnoy en 1775, et qui, mariée à M. de Roissy, rachètera le domaine en 1792.

(16) Le 17 ou le 29 ; les biographies divergent.

(17) Michaud, Biographie universelle. Le Dr Hoeffer lui consacre une grande notice dans Nouvelle biographie de France, Paris, 1876. On trouve la liste de ses plaidoiries dans l’éloge fait par Delamalle, Annales du barreau français, t. II, 1829, 2e partie. Voir aussi le , Mémoire pour Gerbier, ancien avocat au Parlement, 1775, anonyme, rédigé au moment de ses difficultés avec l’avocat Linguet, pour tenter de le réhabiliter ; Bécot, Gerbier et Linguet, Amiens, 1863 ; Haureau, Catalogue chronologique des œuvres imprimées et manuscrites de J.B. Gerbier, 1863 ; H. Thieblin, Éloge de Gerbier, Paris, 1875 ; H. -F. Caillau de Courcelles, Notes sur Gerbier, Paris, 1881. A propos d’un procès, le duc de Croy écrit : «… l’affaire fut plaidée, heureusement pour M. du Lau (curé de Saint-Sulpice), par Gerbier ; les deux mémoires qu’il fit sont des modèles du genre » (op. cit., t. II, p. 190). Baudry, dans son Histoire du barreau de Paris, t. II, p. 151-175, fait une longue relation du procès des Jésuites, de même que E. J. F. Barbier : Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, t. IV, p. 383. Enfin Voltaire le cite à plusieurs reprises dans sa Correspondance et Madame de Genlis a tracé elle aussi un portrait de l’avocat dans ses Mémoires : « Sa taille était au dessus de la moyenne. Son attitude noble et sans gêne, un front découvert, des yeux étincelants, un nez aquilin, une physionomie vive et mobile… ».

(18) Ces bustes, sculptés par Lemoyne en 1767 et Houdon en 1774, sont conservés dans le bureau du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats à Paris. Ils ont fait l’objet d’un article de Louis Réau dans le Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1922, p. 17-26. Un portrait de Gerbier par Duplessis a été présenté au Salon de 1769 ; un autre a été réalisé par Vassé en 1771. Le cercle dans lequel évolue Gerbier semble cependant plus professionnel que mondain. Voici ce qu’en dit l’Almanach historique de Seine-et-Marne : « C’était à Aunoy que Gerbier passait ordinairement ses vacances judiciaires ; il y amenait de jeunes avocats dont il était le maître et l’ami.

          Il y avait alors dans les environs plusieurs gens de loi et de justice qui s ‘attirait les uns les autres : A Champeaux et Malvoisine, MM. Dufour et Nivelle, avocats ; à Saint-Méry, M. Sarazin de Maraise, secrétaire du Roi ; à Blandy — outre les Berlhier et les Guérin, magistrats à Melun — MM. Boudet père et fils, avocats… ».

(19) L’état-civil de Champeaux (Arch. Seine-et-Marne, GE 85/2) mentionne deux filles : Françoise et Madeleine. Or L’Almanach historique de Seine-et-Marne précise que Madeleine est marraine de Joseph-Madeleine Morizot en 1764 ; en admettant que la date soit juste, Madeleine Gerbier n’est donc probablement pas la fille de Marie-Perpétue Martin.

(20) Bachaumont, Mémoires secrets, t. III-IV, p. 337 et t. V-VI, p. 217.

(21) G. L. Le Rouge, Détails de nouveaux jardins à la mode. Jardins anglo-chinois, 5 vol., Paris, 1776-1789.

(22) Recueil des jardins anglais et chinois composés par le Sieur Panseron, élève de Blondel, ci-devant inspecteur des bâtiments de SAS Mgr le prince de Conti. Second volume, premier cahier. Sur des petits terrains tant réguliers qu’irréguliers, Paris, 1783.

(23) Le jardin anglais de la duchesse de Bouffiers aurait été réalisé entre 1765 et 1768. Le duc de Croy, qui en relève le dessin, est très élogieux : «… depuis longtemps elle avait le plus réellement beau jardin anglais du vrai genre que nous ayons », op. cit., 28 mai 1782, t. IV, p. 259.

(24) Archives de Seine-et-Marne, C 52.

(25) Le Mentor moderne, ou Discours sur les mœurs du siècle, traduit de l’Anglais du Guardian de Mrs Addison, Steele et autres auteurs du Spectateur, La Haye, Vaillant frères et N. Prévost, 1723, 3 vol.

(26) Lettres d’un Français, La Haye, 1745.

(27) Cité par Dora Wiebenson, The Picturesque Garden, Princeton University Press, 1978. Vingt ans plus tard, dans l’article « Bosquet » de l’Encyclopédie, le baron de Tschondy reprendra encore les mêmes arguments, malgré la référence faite par Rousseau à Stowe, seul jardin cité nommément dans la description de l’Elysée de Clarens.

(28) D. Diderot, Lettres à Sophie Volland, Paris, Gallimard, 1930. Trois ans plus tôt, Diderot évoquait les jardins de Madame d’Épinay, amie de Rousseau, de Watelet et de Grimm, à la Briche : « (. . .) J’en étais resté, je crois, à notre voyage de la Briche. Je ne connaissais point cette maison ; elle est petite ; mais tout ce qui l’environne, les eaux, les jardins, le parc a l’air sauvage : c’est là qu’il faut habiter, et non dans le triste et magnifique château de la Chevrette. Les pièces d’eau immenses, escarpées par les bords couverts de joncs, d’herbes marécageuses ; un vieux pont ruineux et couvert de mousse qui les traverse ; des bosquets où la serpe du jardinier n’a rien coupé ; des arbres qui croissent comme il plaît à la nature ; des arbres plantés sans symétrie ; des fontaines qui sortent par les ouvertures qu’elles se sont pratiquées elles-mêmes ; un espace qui n’est pas grand, mais où on ne se reconnaît point ; voilà ce qui me plaît. J’ai vu le petit appartement que Grimm s’est choisi : la vue rase les basses cours, passe sur le potager et va s’arrêter au loin sur un magnifique édifice » (5 septembre 1762). Même si la Briche semble plutôt un parc classique retournant à l’abandon qu’un jardin paysager dessiné comme tel, l’intérêt que l’écrivain y porte dès cette date et la description qu’il en fait sont déjà dignes d’être notés.

(29) Blondel, Cours d’architecture civile, 1771, t. I, Introduction. Blondel consacre toutefois plusieurs pages aux jardins anglais (t. VI, chap. 1). Watelet, dans son Essai sur les jardins (Paris, Prault, 1774), n’est pas plus laudatif : « Les parcs qu’on dispose sur les nouveaux principes sont désignés par le nom d’une nation que nous imitons dans quelques usages assez peu intéressants, avec une affectation souvent ridicule. Et cette nation emprunta, dit-on, elle-même l’idée de ses jardins des Chinois, peuple trop éloigné, trop différent de nous, trop peu connu pour ne pas donner lieu à des opinions extraordinaires et à beaucoup de fables ».

(30) Kent, Watelet, Carmontelle étaient peintres ; Le Rouge dessine dès 1734 les rochers et les arbres de Fontainebleau ; et tous les théoriciens insistent sur l’importance du regard du peintre : «… ce n ‘est ni en architecte, ni en jardinier, c’est en poète et en peintre qu’il faut composer des paysages afin d’intéresser tout à la fois l’oeil et l’esprit ». E. de Girardin, De la composition des paysages, Paris, 1777, cité par Hautecoeur, op. cit., tome V où il évoque « Aulnoy » (sic), p. 16. Dans Traité de la Décoration des dehors, des jardins et des parcs, par Mgr le duc d’Harcourt, publié et précédé d’une introduction par E. de Ganay, Paris, 1919, l’auteur ne dit pas autre chose : « Ce goût ne peut être saisi que par des yeux de peintre (…) qui dessine, qui sente la prééminence du crayon, du pinceau, sur la règle et le compas ; qui, longtemps en méditation sur un Salvator Rosa, un Claude Lorrain, un Boucher, se passionne pour ces compositions heureuses qui copient la nature comme elle est… » Selon Ganay, cet ouvrage, non daté, ne peut être postérieur à 1775-1780, aucun des grands jardins à l’anglaise n’y étant cité ; en revanche, le filigrane prouve que cet exemplaire du manuscrit n’est pas antérieur à cette date : le texte a donc dû être rédigé au moment de l’achèvement de la colline à l’anglaise de Thury-Harcourt par son propriétaire.

(31) Lettre CDXXVI, t. IV (cité par A. de Laborde).

(32) Huetiana, Entretiens recueillis de Huet à son déclin, publiés par l’abbé d’Olivet en 1722. A la fin du XVIIe siècle, Mgr Huet, évêque d’Avranches, critique les jardins symétriques et propose d’imiter la nature. Il est, selon Madame de Genlis, le premier à manifester ce goût.

(33) A. J. Dezallier d’Argenville, La Théorie et la Pratique du jardinage…, Paris, Jean Mariette, 1709. Éditions suivantes en 1713, 1722, 1747…

(34) Gerold Weber, Le domaine de Marly, dans Monuments historiques, n° 122, août-septembre 1982, p. 81-96.

(35) Le prince de Ligne, au vu des jardins lorrains du prince Stanislas, note : «Je ne me suis jamais ennuyé dans les jardins de Lunéville et de Commercy. Ce n’était pas encore la mode de courir en Angleterre et de crier « cela est beau » (…) Mais avant cela, il avait fait sa fontaine royale bien à l’Anglaise. Il profita bien de sa pente, de son ténébreux, de ses arbres inégaux qui se faisaient respecter (. . .) par l’air de mystère qui y régnait. » Dans Coup d’oeil sur Belœil, Belœil, 1781. Cité par L. Hautecœur, op. cit., t. V.

(36) Frère Attiret, Les Jardins chinois. 1″ novembre 1743. Publié en France en 1749, en Angleterre en 1752, puis réuni aux Lettres édifiantes et curieuses de Chine par des missionnaires jésuites. .., Paris, 1702-1776. « C’est une campagne rustique et naturelle qu’on veut représenter, une solitude, et non pas un palais bien ordonné dans toutes les règles de la symétrie et du rapport » écrit le frère Attiret. Chambers a imité à Kew la pagode de Canton ; Le Rouge en 1775 reproduit ses Dessins et édifices des chinois.

(37) A. de Laborde, Description des nouveaux jardins de la France…, Paris, 1808. Contrairement à ce qu’on lit parfois, ce n’est pas Jean-Joseph, marquis de Laborde et créateur de Méréville, guillotiné en 1794, qui a écrit cet ouvrage, mais son fils Alexandre-Louis-Joseph (1774-1842).

(38) Recueil des Oeuvres de Madame du Boccage, Lyon, chez les Frères Périsse, 1770, 3 vol.

(39) Moulin-Joli, 1754-1774, sur une île de la Seine près de Colombes.

(40) M. Mayer, Nicolas Michot ou l’introduction du jardin anglais en France, Paris, 1942. Les Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la Révolution. .., du comte Dufôrt de Cheverny, publiés par Robert de Crèvecanir (Paris, 1886, deux vol. in-8°) donnent quelques renseignements sur la vie à Valençay à la fin du XVIIIe siècle, sans pourtant citer de noms d’artistes hormis M. Périer, ni décrire les jardins.

(41) Abbé Delille, Les Jardins, ou l’art d’embellir les paysages. Poème, Rheims, 1782.

(42) A. de Laborde, op. cit.

(43) Duc de Croy, op. cit., t. II, p. 272 et p. 320. Le 27 juillet 1768 est toujours pris comme référence pour dater le jardin anglais de la princesse de Montmorency, lorsque le duc de Croy, retournant à Boulogne, écrit : « … Mme la princesse de Montmorency nous donna le plus superbe déjeuner dans son joli jardin anglais de Boulogne ». Le duc de Croy mentionne en fait, on le voit, ces jardins dès avril 1 767, laissant entendre en outre qu’ils sont un peu plus anciens : s’il a rencontré la princesse de Montmorency en Angleterre, c’est qu’elle y est allée pendant l’été 1766. Elle a donc réalisé ce jardin au moment où lui-même concevait son projet, au moment où Gerbier décide de transformer Aunoy. Lauraguais a été l’un des premiers grands amateurs de jardins paysagers. C’est lui qui a fait connaître Thomas Blaikie à Bélanger, au moment de la construction de Bagatelle.

(44) G. L. Le Rouge, Projet d’un jardin à l’anglaise dessiné par le prince de Croy à son retour de Londresop. cit., t. I, cahier I, pi. 23.

(45) Plan aquarelle conservé au Musée de Versailles, reproduit dans l’ouvrage d’Henri Stein, Les jardins des origines à la fin du XVIII siècle, Paris, 1913.

(46) Duc de Croy, op. cit., t. I, p. 408. Le 25 janvier 1762, le duc de Croy va « passer deux heures à Trianon avec le fameux M. Richard » afin d’obtenir une liste d’arbres persistants pour sa « muraille d’evergreen » à Condé (ibid., t. II, p. 15). Claude Richard, depuis 1750 jardinier en chef du Trianon, est le père d’Antoine Richard, qui dessinera en 1774 à la demande de Marie- Antoinette pour le Petit-Trianon le projet de parc anglo-chinois reproduit par Le Rouge, op. cit., t. II, cahier VII.

(47) L’état civil de Champeaux mentionne les noms de plusieurs jardiniers chargés de l’entretien d’Aunoy : en 1755, Nicolas Girardot, que vient seconder Pierre Alexandre en 1757. En 1760 ni l’un ni l’autre ne sont plus mentionnés, Pierre Le Clère les remplace ; de 1763 à 1767, on trouve le nom de Edme Jean Rossignol, et celui d’Etienne Duval à partir de 1765. Mais le jardinier anglais qui a conçu le parc n’est nommé nulle part.

(48) G. L. Le Rouge, op. cit., t. I, cahier I, pi. 8 et 14.

(49) Voir à ce propos G. Gusdorf, Les Sciences humaines et la pensée occidentale. T. VII, Naissance de la conscience romantique au siècle des Lumières, Paris, 1976.

(50) Duc d’Harcourt, op. cit., note 30, p. 179, p. 199, p. 190.

(51) Ibid., p. 199.

(52) Ibid., p. 160.

(53) E. de Girardin, op. cit., note 30.

(54) L’acte de vente d’Aunoy du 9 mars 1792 (Maître Gibert, étude XXXIX, liasse 627), passé entre Joseph Michel de Roissy et Madame Marie Félix Favre d’Aunoy d’une part, et Marie Parseval veuve de Charles Desbrest, d’autre part, indique que les propriétaires tenaient Aunoy de Louise Marie de Lansac, veuve de Marie Joseph Charles de Broglie (19 janvier 1789).

(55) Ces nouvelles dispositions ne figurent pas encore dans l’inventaire de la vente de cette date.

(56) Almanach historique de Seine-et-Marne, p. 172.

(57) H. Demoriane, Un château pour garden-parties, dans Connaissance des Arts, août 1965, n° 62, p. 46-53, ill.

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