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La reconversion de l’ancienne prison de Guingamp en centre culturel

Publication de Christophe Batard

« La reconversion de l’ancienne prison de Guingamp en centre culturel », dans Monumental, Paris, Editions du Patrimoine, 2018, 1er semestre, p.40-41.

L’ancienne prison de Guingamp, située au cœur du centre ancien, fait actuellement l’objet d’un projet de reconversion d’ampleur souhaité par la Ville, propriétaire, consciente de la qualité architecturale de cet édifice particulier et de l’intérêt grandissant qu’il suscite auprès de ses administrés. La prison, connue comme l’une des premières à système cellulaire selon le principe auburnien, constitue en France un ouvrage majeur de l’histoire de l’architecture carcérale.

Une prison du début XIXe

Un premier bâtiment insalubre et inadapté faisait office de prison, au début du XIXe siècle ; l’édifice actuel a fait l’objet de plusieurs projets de travaux à partir de 1831.

Conçue par l’architecte départemental Louis Lorin et achevée en 1840, la prison – d’une capacité initiale de quarante cellules, dont cinq de répression1 – prévoyait une cour centrale, distribuant, à l’aide d’une coursive, quatre bâtiments principaux, chacun étant doté de cours périphériques, affectées à des fonctions pénitentiaires spécifiques (ateliers, promenade, passagers…). L’ensemble, entouré d’un double mur d’enceinte formant un chemin de ronde2, dessine un plan rectangulaire basé sur deux axes de composition nord-sud et est-ouest.

 

Une progression vers les espaces d’enfermement s’effectue dans un axe est-ouest. Aussi, depuis l’entrée à l’ouest, on pénètre dans une cour menant aux bâtiments dits « du secret et des passagers », qui étaient complétés d’un parloir ; ensuite, dans le bâtiment du gardien, qui matérialise ainsi la limite physique entre la liberté et l’enfermement ; et enfin, dans la cour centrale autour de laquelle s’organisent les bâtiments principaux et la coursive qui les dessert.

 

À l’ouest, le chemin de ronde servait de potager au gardien et un chenil occupait l’angle sud-ouest. Les bâtiments répondaient à une affectation définie : les hommes au nord et au sud ; les femmes à l’extrémité est ; chacun ayant sa propre cour, équipée de latrines. Un système sophistiqué pour la collecte des eaux usées et des eaux de pluie, que le temps avait enseveli sous la terre et la végétation, a été redécouvert à l’occasion des études menées pour le nouveau projet (caniveaux, fosses…).

 

Le projet de Louis Lorin, datant de 1837, est assez proche des dispositions actuelles qui ont suivi l’évolution de la législation sur les établissements pénitenciers. La modification la plus notable par rapport au projet d’origine est celle qui confère à cet édifice son image si particulière. En effet, la coursive de la cour centrale, initialement prévue en arcatures de granit, sera finalement réalisée en bois pour des raisons financières, donnant à l’ensemble son aspect étonnamment colonial.

 

Un temps menacée de démolition, la prison sera finalement classée au titre des monuments historiques en 1997. Dès lors, la Ville de Guingamp a fait le choix de sa reconversion en centre culturel. Actuellement en chantier, elle accueillera bientôt le Centre d’art et de recherche GwinZegal, les services culturels de la mairie, un centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, tandis que la partie ouest du monument conservera ses dispositions d’origine pour être présentées au public (entrées, cour et cellules).

Le projet de reconversion

La conception du projet a été confrontée à plusieurs sujets propres aux prisons et, dans le cas présent, au programme dont tous les éléments n’étaient pas forcément compatibles avec les dispositions actuelles du site.

 

Destiné à accueillir des activités culturelles et des services de la ville, et donc à ouvrir au public, le bâtiment doit répondre aux contraintes réglementaires. Une prison est conçue pour ne pas pouvoir s’en échapper, tandis qu’un établissement recevant des visiteurs nécessite plusieurs issues de secours, et, pour son fonctionnement, des accès et une vraie lisibilité. La prison disposait d’une seule entrée à l’ouest, ouvrant sur la rue, avec très peu de recul par rapport à la voie, et une différence de niveau importante. Par ailleurs, elle comporte de nombreuses cellules ; leur surface réduite, leur disposition en couloir et peu éclairée les rendent difficilement exploitables. Le décloisonnement de trois cellules, effectué en raison de la sous-fréquentation de la prison, avait permis d’y loger une chapelle décorée par les détenus eux-mêmes ; celle-ci sera mise en valeur. Enfin, le centre de photographie envisagé nécessite des salles d’exposition, dont les besoins sur le plan de la conservation préventive se marient assez mal avec une architecture sommaire, non isolée, des petites pièces empêchant le recul sur les œuvres exposées et une ouverture des cellules directement sur les coursives, sans sas.

 

Aussi le projet a été adapté pour concilier ces contraintes, préserver les dispositions les plus intéressantes et permettre un bon fonctionnement, tout en exploitant ce qui en fait sa plus grande qualité : la régularité de son plan et de ses axes de composition.

 

L’entrée ouest ne pouvait constituer l’accès principal, de même que les bâtiments ne pouvaient, sans conséquence, accueillir des espaces d’exposition. Trois choix importants ont été faits : le percement d’une ouverture au sud, donnant sur un parking qui servira à terme de parvis pour l’établissement, l’axe nord-sud, servant ainsi de desserte principale pour le parcours du public ; la création d’extensions dans les cours est et nord, plus faciles à maîtriser du point de vue du climat permet d’avoir des volumes impossibles à trouver ailleurs ; enfin, la préservation et la mise en valeur patrimoniale de toute la zone ouest de la prison, sans chercher à la mettre aux normes, pour la visite et la démonstration du fonctionnement d’une telle prison, à travers une restauration respectueuse des dispositions d’origine (ici, pas de décloisonnement des cellules, pas de modification des portes, ni des sols).

 

À ce jour, le chantier est aux deux tiers de son avancement, pour une ouverture de la première tranche (espaces extérieurs et centre de photographie), en juillet 2018. La Ville poursuit par ailleurs ses efforts dans une perspective d’ouverture complète à moyen terme.

 

Notes

 

(1) Les cellules de répression, situées au rez-de-chaussée se distinguaient des autres par l’épaisseur plus importante des murs de refend, qui les séparaient du reste de l’établissement. Il y en avait initialement deux pour les femmes et trois pour les hommes.

(2) Le chemin de ronde, ainsi que toutes les cours, étaient dotés d’angles arrondis pour rendre l’escalade des murs plus difficile.

 

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